Sur la côte sud-est de Java, au cœur du parc national de Meru Betiri, Sukamade Beach s’étire comme un ruban d’or battu par l’océan Indien. En effet, chaque nuit, entre décembre et mars, un spectacle discret et bouleversant s’y répète depuis des millénaires : la lente remontée des tortues vertes venues déposer la vie sur le sable. Dans la lumière tamisée des torches rouges, le bruissement des vagues accompagne cette danse ancestrale. Ici, la nature garde encore le pouvoir d’émerveiller et de rappeler la fragilité de nos écosystèmes.
Articles & photographies de Damien Lafon.


La tortue verte de Java, une voyageuse des mers
Les tortues vertes (Chelonia mydas) parcourent parfois plus de 2 000 kilomètres avant de rejoindre les plages de leur naissance. Ces reptiles marins, parmi les plus anciens du règne animal, sont capables de s’orienter grâce au champ magnétique terrestre, retrouvant chaque année le même rivage pour perpétuer le cycle de la vie. Ainsi, les femelles émergent lentement de l’écume, traçant sur le sable un sillage semblable à celui d’un tracteur miniature. Leur carapace verdâtre brille sous les étoiles, témoin d’une odyssée de plusieurs décennies.
La ponte des tortues vertes à Sukamade
Lorsqu’elles trouvent un endroit propice, loin des lumières et des bruits humains, les tortues creusent avec leurs nageoires postérieures un trou d’environ cinquante centimètres. Elles y déposent entre quatre-vingts et cent vingt œufs, parfaitement sphériques, avant de les recouvrir de sable. Cette opération minutieuse peut durer plus d’une heure. Les gardes du parc veillent ensuite à marquer les nids et à protéger la zone des prédateurs, notamment les varans et les chiens errants. Une partie des œufs est transférée vers une nurserie protégée, où les jeunes tortues seront relâchées à la mer quelques jours après leur éclosion.
Entre tradition locale et conservation
À Sukamade, la présence des tortues vertes ne relève pas seulement de la nature : elle façonne aussi la vie des habitants. Les familles du village participent depuis longtemps à la surveillance des plages, intégrant la conservation dans leur quotidien. C’est pourquoi, le programme de protection lancé dans les années 1970 a permis d’associer écotourisme et préservation. Les visiteurs peuvent observer les pontes en petit groupe, accompagnés d’un ranger. Le respect est strict : aucune lumière blanche, aucun bruit, et surtout, aucune interaction directe avec les animaux.
Le saviez-vous ?
Les tortues vertes reviennent pondre sur la plage où elles sont nées, parfois après plus de trente ans d’absence. Cette fidélité géographique, appelée philopatrie, fascine encore les scientifiques.


Les menaces silencieuses
Malgré ces efforts, la tortue verte reste classée comme espèce menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La pollution plastique, la pêche accidentelle et la destruction des plages de ponte pèsent lourdement sur ses populations. Les filets dérivants, en particulier, causent chaque année la mort de milliers d’individus. Sur les côtes javanaises, certaines tortues confondent encore les sacs plastiques avec les méduses dont elles se nourrissent. Les efforts locaux, aussi exemplaires soient-ils, ne suffisent pas sans une prise de conscience mondiale.
L’émergence, course vers la mer
Après cinquante à soixante jours d’incubation, les œufs se fendent silencieusement. De minuscules tortues percent la surface du sable, attirées par le reflet de la lune sur l’eau. Cette traversée de quelques mètres représente leur premier combat pour la survie : les oiseaux, crabes et varans guettent. À Sukamade, les rangers relâchent souvent les jeunes tortues à la tombée du jour pour réduire les pertes. Seule une sur mille atteindra l’âge adulte, mais chacune symbolise un espoir fragile et persistant.
Sukamade, laboratoire naturel pour les chercheurs
Grâce à son isolement, la plage de Sukamade constitue un site d’étude unique pour les biologistes marins. Les scientifiques y suivent les migrations, identifient les femelles par balises et mesurent les taux de réussite des pontes. Ces données précieuses alimentent les programmes régionaux de conservation menés en Indonésie et dans tout l’océan Indien. La collaboration entre autorités locales, ONG et universités indonésiennes a fait de Sukamade un modèle d’équilibre entre écotourisme et science. Alors, chaque visiteur devient, à son échelle, un témoin de cette coopération exemplaire entre l’homme et la nature.
Le saviez-vous ?
La température du sable détermine le sexe des embryons : au-dessus de 29 °C, ce sont surtout des femelles qui naissent. Le réchauffement climatique pourrait donc déséquilibrer durablement les populations.

Une nuit à Sukamade, entre émerveillement et responsabilité
Assister à une ponte sur la plage de Sukamade ne laisse personne indifférent. Le silence, le vent, la lenteur du geste évoquent une scène presque rituelle. Sous la lune, la tortue semble confier son avenir à l’océan, comme un acte de foi envers la continuité de la vie. Mais ce moment d’émotion doit aussi rappeler notre responsabilité : protéger les plages, limiter les plastiques, réduire les captures accidentelles. Chaque œuf enfoui dans le sable est un testament fragile de la résilience de la nature.
La mémoire des vagues
À Sukamade, chaque grain de sable garde la mémoire de générations de tortues vertes. Leur retour annuel, immuable malgré les tempêtes et les menaces, rappelle qu’une harmonie entre l’homme et la mer reste possible. Loin des foules, cette plage de Java offre une leçon de patience et de respect. Dans la lumière tamisée des lampes rouges, la tortue s’éloigne lentement, traçant dans le sable une empreinte qui disparaîtra bientôt, mais dont le souvenir, lui, demeure.
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