Sur les rives du lac Batur, au cœur de Bali, Trunyan conserve une tradition funéraire ancestrale unique au monde. Accessible uniquement par bateau, ce village isolé perpétue les pratiques des Bali Aga, peuple autochtone balinais. Ici, les morts ne sont ni incinérés ni enterrés, mais exposés à l’air libre. Ce rituel séculaire, soutenu par la présence d’un arbre sacré aux vertus purificatrices, interroge notre rapport à la vie, à la mort et à la nature.

Article et photographies de Damien Lafon
Trunyan : une tradition ancienne protégée par l’isolement
Au pied du mont Abang, s’étend un village singulier : Trunyan. Ce village, niché dans une caldeira volcanique au cœur de Bali, conserve activement des traditions rares parmi les plus anciennes de l’île. Les habitants, appelés Bali Aga ou Bali Mula revendiquent leur descendance directe des premiers Balinais, établis bien avant l’arrivée de l’hindouisme. À Trunyan, les habitants ne crématisent ni n’ensevelissent leurs morts. Ils exposent les corps à ciel ouvert. Pourtant, aucune odeur ne flotte dans l’air. Un arbre sacré protège le lieu. Ainsi, ce monde semble suspendu hors du temps.
Le rituel du mepasah : une pratique funéraire unique
De nos jours, en raison de son isolement, Trunyan a préservé un mode de vie ancestral. On y accède uniquement par bateau, ce qui limite considérablement les influences extérieures. Contrairement à d’autres régions de l’île marquées par l’hindouisme, Trunyan perpétue des pratiques d’un autre âge. Les villageois construisent leurs maisons en bois et bambou. Ils transmettent oralement leurs rituels religieux et rythment leur quotidien autour des cycles naturels. Ainsi, ce respect du vivant se retrouve jusque dans leurs rites funéraires. Dans une clairière sacrée, les familles déposent les défunts sur le sol, enveloppés dans un tissu, protégés par une cage de bambou. Ni inhumés ni incinérés, les corps se décomposent à l’air libre. Pourtant, l’air demeure étonnamment pur.
Le Taru Menyan : arbre sacré et purificateur
Cette singularité repose sur un élément central : le Taru Menyan. Cet arbre, dont le nom signifie « arbre parfumé », pousse près du site funéraire et libère une odeur puissante capable de neutraliser les émanations de décomposition. Grâce à lui, les villageois peuvent perpétuer le rituel du mepasah depuis des siècles. D’ailleurs, le nom même de Trunyan dérive de cet arbre vénéré.
Le saviez-vous ?
Le Taru Menyan produit une résine odorante qui masque les odeurs corporelles. Cette propriété rend possible un rite funéraire unique au monde.

Une société structurée par les rites et les castes
Dans la vision du monde des Bali Aga, la mort s’inscrit dans la continuité du vivant. Ainsi, elle marque un retour à la nature, un cycle à honorer plutôt qu’un tabou à fuir. Seuls les villageois mariés accèdent au mepasah. En revanche, les célibataires ou les morts accidentelles sont inhumés ou incinérés. Le feu, jugé destructeur, reste réservé à des usages précis. Par ailleurs, la société locale repose sur une organisation stricte : deux castes sociales coexistent le banjar jero, descendant des anciens chefs, et le banjar jaba, regroupant les familles gouvernées. Chaque groupe joue un rôle dans les cérémonies religieuses et les rituels.
Brutuk : la danse silencieuse des esprits
Chaque année, le village célèbre également le rituel Brutuk en l’honneur de Bhatara Da Tonta, divinité liée au volcan Batur. Durant ce festival, des hommes célibataires, après une retraite spirituelle, exécutent des danses masquées vêtus de feuilles de bananiers séchées. Sans musique, en silence, ils établissent un dialogue entre les vivants et les forces invisibles. Ce moment rare renforce le lien sacré entre l’humain et l’invisible.
Trunyan aujourd’hui : entre curiosité et respect nécessaire
Aujourd’hui, le village intrigue les voyageurs. Le caractère insolite de ses rites funéraires attire. Cependant, certains guides exploitent cet attrait, mais plusieurs voix locales s’élèvent pour protéger les lieux. Trunyan n’est ni un musée ni un spectacle. Photographier les corps sans autorisation constitue une offense grave. Dès lors, il est essentiel de visiter avec respect. Depuis Kedisan, les visiteurs rejoignent Trunyan en pirogue motorisée. Sur place, ils doivent faire preuve de discrétion, porter des vêtements sobres et écouter les conseils des guides. Ce respect s’avère indispensable pour préserver l’équilibre spirituel du lieu.
Le saviez-vous ?
Le rituel Brutuk, exclusif à Trunyan, se déroule sans accompagnement musical. Les danses s’exécutent dans le silence, guidées par les esprits.

Finalement, Trunyan propose une autre vision de la mort. Ici, le corps reste visible. Il retourne lentement à la terre. Cette pratique invite à reconsidérer notre rapport au deuil, au vivant, et à la mémoire. Elle rappelle que la fin d’une vie ne signifie pas une rupture, mais une transformation. Ainsi, au milieu d’un monde où la distance avec la nature grandit, Trunyan enseigne la continuité. Ainsi, il illustre un lien profond entre l’homme, la terre et le temps qui passe.
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