Les singes nasiques de Bornéo intriguent par son long nez, sa démarche amphibie et ses cris résonnants à travers les mangroves. Pourtant, derrière son apparence insolite se cache un concentré d’adaptations. Ce primate nous raconte une histoire d’évolution, de sexualité, de survie… et d’équilibre rompu.
Article et photographies de Damien Lafon

Les singes nasiques, une énigme dans les forêts inondées
À première vue, le nasique (Nasalis larvatus) étonne par son nez proéminent, surtout chez les mâles adultes. Cette caractéristique anatomique unique n’est ni un hasard ni une simple bizarrerie. Elle reflète des pressions évolutives fortes, ancrées dans la sélection sexuelle et les contraintes environnementales.
De nos jours, ce singe vit uniquement sur l’île de Bornéo, dans des zones humides comme les mangroves, les estuaires ou les forêts marécageuses. Là, il a développé des stratégies de communication, de locomotion et de reproduction adaptées à un territoire en constante mutation.
Séduction sonore et critères de choix
Les femelles nasiques préfèrent les mâles au nez long. Ce critère de sélection sexuelle est étroitement lié à la dominance sociale. Un nez développé signifie, selon certaines études, une meilleure santé, une fertilité accrue et une masse corporelle importante.
Pourtant, ce nez a aussi une autre fonction. Il agit comme une caisse de résonance. Grâce à lui, les mâles produisent des sons graves et puissants. Ces vocalisations leur permettent de signaler leur présence, de prévenir les conflits et de maintenir la cohésion du groupe.
La structure crânienne des mâles, modifiée pour loger ces cavités nasales élargies, témoigne de cette évolution croisée entre apparence et communication.
Entre terre, arbres et rivières
L’environnement du nasique est complexe. Bornéo est traversée de fleuves, de zones inondables et de forêts côtières. Pour survivre dans ces milieux, le nasique a dû s’adapter. Il nage avec aisance grâce à des membranes entre ses doigts et ses orteils.
On l’a observé sautant dans les rivières depuis les arbres pour traverser un bras d’eau ou fuir un danger. Cette aptitude rare chez les primates lui permet d’exploiter une grande diversité de ressources alimentaires réparties sur des territoires fragmentés.
Les singes nasiques, une vie de groupe bien organisée
Les singes nasiques vivent en petits groupes sociaux. Un mâle adulte, plusieurs femelles et leurs petits composent souvent ces unités. À côté, on trouve aussi des groupes de mâles non reproducteurs. Ces structures évoluent selon les saisons et la disponibilité des ressources.
Les interactions entre individus passent par les vocalisations, les postures, le toilettage mutuel et le contact visuel. Les jeunes mâles quittent leur groupe à l’adolescence pour rejoindre des groupes de célibataires, en attendant une éventuelle prise de pouvoir.
La taille du nez influence ici encore la hiérarchie. Un grand nez dissuade l’agression et signale une position dominante sans avoir recours à la violence.
Le saviez-vous ?
Chez les mâles, le nez peut mesurer jusqu’à dix centimètres. Il continue de croître tout au long de la vie.


Naître, grandir… lentement
La reproduction chez le nasique est lente. La gestation dure environ 165 jours. En général, une seule naissance a lieu tous les deux à trois ans. Ce rythme réduit la capacité de l’espèce à compenser les pertes.
Le jeune reste avec sa mère pendant plusieurs mois. Il est ensuite intégré au groupe mais dépend encore des adultes. Les femelles, très protectrices, surveillent les petits et alertent le groupe en cas de menace. Les mâles, eux, défendent leur territoire surtout par la voix.
La prédation reste relativement rare, mais les varans, pythons et rapaces peuvent s’attaquer aux plus jeunes. C’est pourquoi, les nasiques préfèrent dormir en hauteur, à l’abri dans les feuillages.
Une espèce en dange
Le singe nasique est aujourd’hui classé “en danger” par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sa population décline rapidement. La perte d’habitat, la fragmentation des forêts et la conversion des mangroves en plantations industrielles en sont les principales causes.
L’isolement des groupes limite les échanges génétiques. De plus, certains jeunes sont encore capturés pour alimenter un trafic illégal. Le contact croissant avec les humains, notamment dans les zones agricoles, provoque aussi des conflits.
Des pistes pour un avenir commun
Face à ces menaces, plusieurs projets ont vu le jour. La création de parcs nationaux a permis de protéger certains habitats. Des corridors écologiques relient peu à peu les zones isolées. Ces passages sont vitaux pour favoriser les déplacements et la reproduction.
L’écotourisme responsable participe aussi à la préservation. En organisant des visites guidées limitées, les communautés locales génèrent des revenus tout en sensibilisant les visiteurs à la richesse de leur environnement.
Dans plusieurs villages, des campagnes de reforestation avec des espèces locales comme les palétuviers renforcent les mangroves. Ces zones tampons jouent un rôle clé dans la résilience écologique des côtes de Bornéo.
Le saviez-vous ?
Le nasique peut nager sur plus de 20 mètres d’affilée. Il est l’un des meilleurs nageurs parmi les primates.

Les singes nasiques, des habitants essentiels des forêts humides
Le long nez des singes nasiques n’est pas un simple trait visuel. Il incarne une série d’adaptations complexes. Entre stratégie de reproduction, communication efficace et réponse à un habitat changeant, ce primate nous rappelle que l’évolution agit en permanence.
À Bornéo, les nasiques continuent de peupler les mangroves, entre racines immergées et feuillages bruissants. Cependant, leur survie dépend désormais de notre capacité à préserver ces écosystèmes fragiles.
Observer un nasique, c’est voir l’évolution à l’œuvre. Un nez, un cri, une nage… autant de signes que la nature ne cesse jamais d’inventer.
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